Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Les gouverneurs, conseillers communaux d’hier

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Les membres actifs de la Compagnie des Vignolants appartiennent pour la plupart aux différents Conseils communaux des communes viticoles. En cette qualité, ils dirigent chacun plusieurs dicastères. Comme ils sont pour la plupart non professionnels, ils doivent gérer leur temps de telle manière à pouvoir concilier leur activité principale avec les heures qu’ils donnent pour le service de la communauté.

Autrefois, ce rôle était attribué aux Gouverneurs des Communautés. Sans conteste. cette charge annuelle à laquelle personne ne pouvait se soustraire, équivalait au plus lourd devoir qui pouvait incomber à un communier. Jean-Pierre Jelmini dit à ce propos: « cette mise au service de la communauté pour une année entière est extrêmement exigeante; même si elle est compensée par un gage pécunier, on peut affirmer qu’elle constitue pour la plupart des hommes qui l’assument un sérieux manque à gagner, doublé de responsabilités financières et morales qui ne sont pas toujours aisées à supporter. »

Il est intéressant de se plonger aujourd’hui sur les obligations de ces personnes et en particulier sur leur rétribution. Pour étayer notre propos, nous nous référons à un règlement émis par la Communauté d’Auvernier en 1741, qui nous permet de comprendre comment le système fonctionnait.

Le premier article stipule que leur rétribution annuelle pour toutes les tâches normales qu’ils effectuent sur le territoire communal ou dans les environs immédiats, soit dans les villages de Corcelles, Cormondrèche, Peseux, Areuse, Colombier et Bôle, se monte pour chacun à cinquante livres faibles.

Dès qu’ils sortent de ce périmètre pour traiter des affaires de la Communauté pour lesquelles ils ont été dûment mandatés par l’Assemblée générale de la Commune, ils reçoivent dix batz pour se rendre à Neuchâtel « mais lorsqu’il s’agira d’aller à St- Blaise, à Plambos, Champ du Moulin, aux Chaumes, ou ailleurs environ deux heures de loin, chaque député aura quinze batz de sa journée ».

Les Gouverneurs sont aussi chargés de tenir et rendre les comptes de la Communauté. Comme l’office de gouverneur ne dure qu’une année, les comptes se rendent le dernier jour de l’an, devant les nouveaux Gouverneurs, le Président, les Justiciers, Secrétaires et commis, et ceux commis comme contrôleurs, à savoir trois personnes, « tous lesquels opineront sur les articles du compte ». Chacun reçoit pour ce jour dix batz et vingt pour le Président. On admet encore douze batz par personne pour les dépenses usuelles du jour, soit certainement un repas et le vin.
Pour établir leur compte, chaque gouverneur est payé quarante batz.

S’ils assistent aussi en compagnie du Lieutenant, des justiciers, des anciens d’église à la journée de distribution d’argent et de graines aux pauvres, ils touchent à nouveau dix batz.
Pour la visite de l’école qui se faisait en compagnie du pasteur et du Consistoire, ils reçoivent quinze batz.

Pour les enchères des foins de la Communauté qui se font au village, l’indemnisation est de quatre batz tandis que pour celles des bois qui se tiennent en forêt, elle passe à dix batz.
Pour la visite des vignes, afin de voir si ceux qui les cultivent le font comme il convient, ils touchent ainsi que leurs adjoints, chacun dix batz, « lesquels visiteurs châtieront sur le champ ceux qu’ils trouveront dans le cas à devoir l’être et en feront ensuitte raport en communauté, la première fois qu’elle sera assemblée; mais à la visite qui se fait des vignes de toute la Brévardie pour la mise du bamp des vendanges, il est arrêté, qu’avec Mr le Lieutenant, les Gouverneurs et les six brévards, les Gouverneurs nommeront dix preud hommes qui tous auront chacun douze batz à dépenser, et s’il arrive à l’avenir comme depuis quelque temps en ça on l’a pratiqué, que la communauté invita Messieurs de Collombier à être présents au raport que feront lesdits preud hommes sur la maturité des raisins, afin de conférer avec eux sur les moyens de s’accorder pour leur ban des vendanges; ils seront priés d’accepter à boire et à manger avec les susdits visiteurs et Preud-hommes aussy à douze batz par tête. »

Le règlement prévoit encore quelques journées payées soit quatre ou douze batz comme pour le jour où est dressé le Rôle de l’Avoine des bois.
Pour essayer d’estimer le salaire d’un gouverneur, il convient de rappeler qu’une livre faible correspond à quatre batz. Donc, l’indemnisation de base équivaut à deux cents batz.
En ajoutant les quelques journées et indemnités supplémentaires, on peut estimer qu’un gouverneur à Auvernier touchait alors l’équivalent de quelque trois cent cinquante batz par année, soit environ quatre-vingt-deux livres faibles.

Par comparaison, il convient de dire qu’en 1741, le pot de vin, soit 1,91 litre, s’est vendu trois batz et demi au prix officiel de la Vente de la Seigneurie.
Est-ce que cette rémunération rend le poste attractif? Eu égard aux nombreuses responsabilités et à la charge temporelle de cette fonction, les risques de se trouver débiteur de la commune lors de la reddition des comptes rendent ce poste totalement inintéressant. Les Gouverneurs avaient en effet beaucoup de difficultés à faire rentrer les sommes diverses dues à la caisse communale. Responsables devant la Communauté de leur gestion, certains mirent ainsi des années à payer la dette qu’ils devaient à la Commune!

Sans réel pouvoir puisqu’ils sont sans cesse assujettis aux décisions de l’Assemblée de la Communauté, les Gouverneurs sont en quelque sorte des hommes à tout faire, chargés sans cesse d’essayer d’administrer au mieux les biens de la Commune, de tenir les comptes, d’encaisser les loyers, de contrôler le régent, de surveiller les travaux publics, de préparer les différentes enchères de bois, de foin, de vendanges, d’encadrer les bergers et brévards, de représenter la Commune dans diverses assemblées.

Et comme ils n’étaient rétribués que lorsque les encaissements se faisaient, il était fort fréquent qu’on leur remettre des billets à ordre sur de l’argent à venir. Il fallait alors qu’ils puissent se faire payer pour être simplement payés!

Dans un système où le troc restait fort présent et le numéraire rare, ce système de billet sur gage permettait aux caissiers des Communautés d’éviter de sortir trop souvent des espèces sonnantes et trébuchantes. Les Gouverneurs étaient ainsi des créanciers et des débiteurs malgré eux!

S’il est aujourd’hui difficile pour certaines petites communes de trouver des gens qui acceptent de siéger dans un exécutif, j’espère que ce petit texte montrera qu’il était encore plus pénible hier de remplir une telle charge! Non, la perte du sens civique ne date pas de maintenant!